Ma vie est ainsi faite que je côtoie des gens de tous milieux, de tous univers. Je connais des tas de gens qui ont grandi dans des foyers et des familles d’accueil, des enfants qui y sont encore, mais aussi des familles d’accueil, des éducateurs/trices, et d’autres personnes qui travaillent au contact de ces enfants.
Et force est de constater, au fil du temps, des témoignages divers et variés, des vécus de proches, et même de quelques films documentaires, que dans les pratiques de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance), revient sans cesse le même principe, qu’on pourrait résumer ainsi :
Les enfants placé-e-s en foyer ou en famille d’accueil ont le droit de nouer et garder des liens affectifs forts uniquement avec leurs parents. Les autres liens affectifs doivent être coupés net.
C’est valable lorsque l’enfant noue des liens affectifs fort avec un-e adulte (famille d’accueil, éducateur/trice, directeur/trice de gîte d’enfants qui les reçoit pendant les vacances, animateur/trice, etc). C’est aussi valable lorsque l’enfant noue des liens avec un-e autre enfant (une amie a ainsi témoigné de son amitié avec un enfant placé en famille d’accueil, amitié qui a été coupée net, par le changement d’école et de famille d’accueil de cet enfant, pour cause d’amitié considérée comme trop forte entre eux deux. Avec interdiction totale de s’envoyer des lettres ou de se téléphoner). C’est même valable entre frères et sœurs, qu’on n’hésite pas à séparer si on les trouve trop proches l’un-e de l’autre.
J’ai personnellement connu un enfant de cinq ans, qui s’était attaché fortement à une adulte qui tenait un gîte d’enfants. Coupure absolue du lien, interdiction de se revoir. L’enfant a passé des jours et des nuits à pleurer et réclamer cette personne. En vain.
Lorsqu’une personne souhaite devenir assistant-e maternel-le (famille d’accueil), elle a tout intérêt, pour obtenir son agrément, à parler de son intérêt pour le social, mais à ne surtout pas parler d’affectivité, d’empathie, de désir d’offrir à un enfant un milieu familial. Le rôle des familles d’accueil doit se restreindre le plus possible à un rôle de gardien-ne-s (donner à manger aux enfants, les amener à l’école, aller les y chercher, leur faire faire leurs devoirs…), et le moins possible à un rôle de figure d’attachement, d’ambiance familiale, d’affection.
L’attachement et l’affection ne sont autorisés qu’avec la famille officielle (et encore, on a vu qu’entre frères et sœurs, ça pose aussi problème), c’est à dire avec les parents. Si les parents sont maltraitant-e-s, incestueux/ses, ou refusent de voir leur enfant, ben tant pis pour ce-tte dernier/ère : il ou elle devra grandir sans lien affectif aucun.
Alors que tous les animaux sociaux, et donc les humain-e-s aussi, ont besoin de liens affectifs forts, à fortiori dans l’enfance, pour se construire, alors que le manque de figure d’attachement provoque des dégâts psychologiques parfois irréparables, l’ASE continue à appliquer ce mode de fonctionnement.
On ne se demande pas, alors, pourquoi une majorité de ces enfants, devenu-e-s adultes, se retrouvent sans-abris, malades psy, ou délinquant-e-s. Déjà qu’ils et elles partent avec des difficultés dans l’existence, avec parfois des traumatismes graves, au lieu de leur apporter la possibilité de trouver des points d’appui pour une possible résilience (ce qui passe nécessairement par des figures d’attachement fortes et solides), on les leur interdit. Au nom d’une certaine vision de la famille ? Au nom d’une habitude qu’on a du mal à remettre en question ? Je l’ignore, mais je dois dire que je trouve cela criminel. Et je le dis en pensant à tou-te-s ces enfants qui ont été ou sont privé-e-s d’avenir par les institutions censées leur venir en aide.