Dans un précédent article, j’exprimais le fait que le féminisme radical ne rime pas forcément avec des positions transphobes, et me déclarais TIRF (Trans-Inclusive Radical Feminist). Vous avez été nombreux/ses (zéro) à me demander des précisions quant à ma position. Les voici donc.
Avant toute chose, en tant que personne cisgenre, je tiens à dire que si ma position ou mes propos comportent des choses gênantes au niveau de la transidentité ou de la transphobie, déjà je m’en excuse par avance, sincèrement (mon but n’étant pas de blesser qui que ce soit), et ensuite je suis ouverte à toute critique ou remarque venant de personnes concernées.
En tant que féministe radicale, je considère que le genre est une construction sociale, que le patriarcat utilise pour imposer sa domination, non seulement sur les femmes cis, mais aussi sur toute personne qui ose dévier des cases bien binaires qui collent le genre au sexe biologique (ainsi le patriarcat – et donc la classe des hommes – déteste et opprime les femmes cis, mais aussi les gays, les trans, les intersexes…).
Une personne trans est une personne dont le sexe biologique à la naissance (sur la base de l’aspect des organes génitaux) ne correspond pas au genre social imposé par le patriarcat (qui impose d’avoir un genre social correspondant au sexe biologique). Vous allez me dire que personne ne colle totalement à son genre social, ce qui est vrai, mais je pense qu’il y a une question de degrés, déjà. Vous allez me dire qu’une lesbienne butch est une femme et non un homme trans, alors qu’elle ne colle pas franchement au genre social imposé par le patriarcat ; c’est peut-être là qu’on devrait, en fait, apporter une troisième nuance : il y a le sexe biologique, le genre social, et ce qu’une société considère comme marques du genre social (porter les cheveux longs ou courts, s’épiler ou non, se maquiller ou non, etc). On peut être cis tout en ne collant pas aux marques de son genre social (par exemple être une lesbienne butch), et on peut être trans tout en n’y collant pas non plus (par exemple un homme trans qui se maquille et se vernit les ongles). La différence entre ces deux personnes est que la première ne se sent pas mal à l’aise voire carrément niée lorsqu’on parle d’elle au féminin ou qu’on la prénomme avec un prénom féminin, alors que le second si.
(C’est là, aussi, que le fait d’être cisgenre oblige à un peu d’humilité : en tant que cis, je ne peux pas savoir complètement et entièrement ce que ça fait d’être trans. Je peux être en empathie, je peux écouter les personnes concernées, mais je ne suis pas, et ne serai jamais à leur place. Raison de plus pour ne pas prétendre savoir mieux qu’elleux et leur faire la leçon sur des choses qui ne me concernent pas et ne me concerneront jamais. Au même titre qu’un homme cis venant expliquer aux femmes cis comment elles doivent vivre les règles, la grossesse ou l’accouchement fait du mansplaining et ferait mieux de se taire, une personne cis venant expliquer à une personne trans comment elle devrait ou ne devrait pas vivre sa transidentité ferait mieux de se taire. À fortiori si c’est pour lui balancer des horreurs transphobes dans la figure et la mégenrer…)
Le genre social, ce ne sont pas les vêtements qu’on porte ou la façon dont on se coiffe, c’est bien plus profond et subtil que ça. C’est être reconnu-e, dans une société, comme de tel ou tel genre. Et jusqu’à preuve du contraire, on vit dans une société qui considère qu’il existe deux genres. On peut le déplorer, mais reprocher à des personnes qui subissent l’existence du genre de plein fouet (la transphobie et la transmisogynie tuent) d’être les allié-e-s du patriarcat qui les opprime, c’est super violent et complètement absurde.
Ça revient en fait au même que de reprocher aux militant-e-s de l’anti-racisme d’utiliser les mots « racisme » et « racisé-e-s » et d’être donc des renforcateurs/trices du phénomène raciste. On n’est pas responsable des oppressions qu’on subit juste parce qu’on utilise les concepts de l’oppresseur pour dénoncer l’oppression en question ou la subvertir. Ce ne sont pas les anti-racistes qui ont créé le racisme. Ce ne sont pas les lesbiennes et les gays qui ont créé l’homophobie, et ce même si elles et ils utilisent les termes « pédé » ou « gouine » afin de retourner et subvertir les insultes. Ce ne sont pas non plus les féministes qui sont responsables de l’existence du patriarcat et de l’existence de la binarité de genre dans notre société, quand bien même elles utilisent les termes de « femme », « homme », « classe des femmes », « classe des hommes », « féminisme »…
Les féministes radicales transphobes, les TERF donc (ce n’est pas une insulte, c’est un terme qui désigne le fait d’être féministe radicale et d’exclure les trans. Prétendre que c’est une insulte afin de refuser la remise en question, ça me fait penser au coup de la fragilité blanche et des gens qui hurlent « tu m’insultes de raciste ! » dès lors qu’on leur fait remarquer l’aspect raciste d’une de leurs paroles ou d’un de leurs actes), les TERF, disais-je, reprochent aux personnes trans de se conformer aux marques du genre social imposées par la société : de porter des robes, s’épiler, se maquiller, avoir les cheveux longs, par exemple, dans le cas des femmes trans. Je trouve ça archi fort de café, étant donné que d’une part, c’est souvent une question de survie (une personne trans dont le genre « visible » n’est pas marqué socialement, qui n’a pas un bon passing, risque la violence et le meurtre), la seule possibilité d’être accepté-e- comme trans (les trans non-binaires, ou qui ne rentrent pas bien dans la case du genre opposé à leur sexe biologique, se voyant souvent refuser les hormones, la chirurgie, ou même le changement de nom et d’état civil qui leur permettrait de ne pas être agressé-e, de pouvoir travailler, etc), et d’autre part, se conformer en partie aux marques d’un genre social (masculin ou féminin), c’est aussi ce que font toutes les personnes cis, y compris les féministes radicales, y compris les TERF.
Me semble que ces féministes radicales ne sont pas aussi virulentes lorsqu’elles se retrouvent face à une femme cisgenre qui porte ses cheveux longs, s’habille avec une robe ou s’épile… Ce qui est bien la preuve que ce qui les gêne, en réalité, ce n’est pas tant que des personnes se conforment aux marques d’un genre social, mais qu’elles se conforment aux marques du genre social opposé à leur sexe biologique. Et d’ailleurs, lorsqu’une personne trans ne se conforme pas aux marques du genre social auquel elle appartient, ces mêmes personnes le lui reprochent aussi : comment, cette personne prétend être une femme alors qu’elle garde sa barbe, ou son pénis ! Au final, c’est pile tu perds, et face tu gagnes pas. Ce qui dérange n’est donc pas la conformité ou non aux marques d’un genre social, puisque ça ne dérange pas lorsque la personne est cisgenre, qu’il s’agisse d’une femme en jupe et hauts talons ou d’une lesbienne butch, et puisque c’est attaqué avec virulence dès lors que la personne est transgenre, qu’elle se conforme un peu, beaucoup ou pas du tout aux marques du genre social ; ce qui dérange, c’est la transidentité. Et quelqu’un qui est dérangé-e par la transidentité d’autrui est une personne transphobe, point.
Bon, au final j’ai plus parlé de transphobie que de transidentité – normal, puisque je suis cis et donc non concernée – et que de féminisme radical, mais il me semblait important de mettre à plat certaines choses, afin de me désolidariser de toute tendance à la transphobie dans le féminisme radical.
Pour en revenir au féminisme radical, donc. Considérer que le genre est une norme sociale et qu’il doit être aboli ne change rien au fait que, pour l’instant, il existe. Et s’il existe, ce n’est pas à cause des personnes trans, ou des personnes non-binaires, mais bien à cause du patriarcat, et de la classe des hommes qui en profite (et j’écris bien « classe des hommes », en tant que classe sociale, à différencier des individus donc).