La toxicophobie, c’est quand un tocard à la télévision désespère tout le monde par sa bêtise, mais réussit finalement à mettre tout le monde d’accord lorsqu’il affirme qu’étant plus jeune, il allait tabasser des « toxicos » (et là, applaudissement général, sur le plateau comme dans le public). La toxicophobie, c’est le fait que dans notre société, la violence est encouragée vis à vis des usagers/ères de drogues. (Si tu me crois pas, va donc voir – vers la 15ème minute.)
La toxicophobie, c’est lorsque des médecins et des psychiatres affirment à longueur de livres que les usagers/ères de drogues, qu’ils et elles appellent « toxicos » – nous confondant avec des toxiques – sont tou-te-s des menteurs/euses, des manipulateurs/trices, des pervers-es, des psychopathes, des gens indignes de confiance (comme Francis Curtet qui écrit dans un même livre qu’il faut apprendre à nous écouter et que nous sommes tou-te-s des menteurs/euses et des manipulateurs/trices. Paye ta qualité d’écoute). La toxicophobie, c’est le fait que ce sont ces gens-là qu’on invite, dans les médias comme dans les sphères politiques, dès que la question des drogues est abordée.
La toxicophobie, c’est lorsque les gens qui utilisent le terme « junky », ce qui signifie littéralement « déchet » ne se rendent même pas compte du caractère insultant d’un tel mot.
La toxicophobie, c’est lorsqu’un médecin travaillant au CDAG (Centre de Dépistage Anonyme et Gratuit) reçoit une usagère de drogues venue faire un test VIH et hépatites, et lui affirme sans sourciller « on va aussi vous faire la syphilis, parce que quand on est toxico et qu’on vit en squat, on couche tous les uns avec les autres ! »
La toxicophobie, c’est quand des gens qui s’intéressent aux questions de social et de soin psychique pensent que la meilleure des critiques envers Macron et sa politique, c’est de l’accuser de consommer des drogues. Ou quand des gens qui se croient philosophes répètent à qui veut l’entendre que Freud était cocaïnomane, et que c’est bien la preuve que sa pensée ne vaut rien. Et la toxicophobie, c’est de vivre dans une société où ce genre de non-arguments fait mouche…
La toxicophobie, c’est quand les gens qui boivent de l’alcool peuvent en parler librement sans être aussitôt stigmatisé-e-s, tandis que les autres UD doivent perpétuellement se cacher, s’ils et elles ne veulent pas perdre leur emploi, leurs ami-e-s, leur famille, leur liberté… La toxicophobie, c’est cette idée que boire de la bière ou du whisky en soirée c’est juste normal, mais prendre du LSD ou injecter de l’héroïne, même occasionnellement, ferait automatiquement du/de la consommateur/trice un-e « toxicomane ».
La toxicophobie, c’est de ne pas voir le problème, dans une société qui ne condamne ni l’ivresse, ni la dépendance, ni la prise de risques, à condamner certain-e-s usagers/ères de certaines drogues à des amendes ou même à de la prison, tandis que ceux et celles qui consomment la plus addictive des drogues (le tabac) ou celle qui augmente le plus fortement les risques de mise en danger d’autrui (l’alcool) ne sont pas inquiété-e-s (et que ce soit bien clair : je ne souhaite pas qu’on se mette à les inquiéter pénalement pour leur consommation, hein, juste qu’on foute la paix aux autres).
La toxicophobie, c’est de vivre dans un monde où pour certaines drogues, on considère qu’en dehors de l’abstinence il n’y a point de salut, et où on est prêt-e-s, pour cela, à envoyer des gens en cure de détox dans des lieux où la maltraitance psychologique voire même physique est institutionnalisée. La toxicophobie, c’est la culture du mensonge, avec lequel on pense faire la seule prévention valable, et où dire que la majorité des consommateurs/trices d’héroïne ou de crack ne sont pas addict-e-s est considéré comme de l’incitation à la consommation. La toxicophobie, c’est un système qui se marche tellement sur la tête que les UD qui travaillent dans le milieu du soin aux personnes addictes sont celles et ceux qui peuvent le moins facilement demander de l’aide, par risque de perdre leur travail… (et s’ils et elles se font chopper, la loi prévoit, en plus, de les punir plus sévèrement encore que les autres).
La toxicophobie, c’est de considérer que lorsqu’une personne refuse de dévoiler à autrui ses consommations et leur fréquence, c’est soit du déni, soit du mensonge et de la manipulation. Alors que d’une part, il s’agit de questions profondément intimes (quelqu’un qui refuse de vous dire comment et à quelles fréquences il ou elle se masturbe, est-ce du déni, du mensonge, de la manipulation, ou simplement un juste exercice de son droit à la vie privée ?), et que d’autre part, un tel dévoilement expose à du rejet, de la discrimination, et même des violences, institutionnelles ou non.
La toxicophobie, c’est quand Arte passe un documentaire sur des mères addictes en Allemagne, où une de ces mères qui est en processus (imposé) de chemin vers l’abstinence re-consomme une fois des amphétamines, et où le médecin qui la suit, avec un air désabusé, commente le fait qu’elle ne leur a pas dit, à « [eux et elles] ses thérapeutes qui sont liés par le secret médical », qu’elle avait re-consommé, alors que la première chose qu’il va faire en découvrant cette reconso, c’est avertir les services sociaux pour que la garde de ses filles lui soit retirée (« liés par le secret médical » mon cul), alors même qu’ils et elles reconnaissent qu’elle s’en occupe bien, de ses filles. C’est accorder sa confiance à de tel-le-s « thérapeutes » – complices d’une répression délétère – qui serait du déni et de l’inconscience.
Mais la toxicophobie, c’est aussi le fait que même entre usagers/ères de drogues on se méfie les un-e-s les autres, voire on se méprise les un-e-s les autres, parce que ceux et celles qui ne prennent pas d’héroïne discriminent celles et ceux qui en prennent, et ceux et celles qui n’injectent pas sont persuadé-e-s que celles et ceux qui injectent sont indignes de confiance.
La toxicophobie, c’est aussi lorsque dans un ASUD-Journal, c’est à dire la revue publiée par une association qui lutte justement contre la toxicophobie, on lit quand même quelqu’un qui écrit que le rejet des consommateurs/trices d’héro et des UDVI (usagers/ères par voie intraveineuse) dans le milieu des free parties est une bonne chose, parce que ça limiterait ces comportements et serait donc une forme de santé communautaire. Ce qui n’est rien d’autre qu’une reprise des arguments prohibitionnistes contre lesquels justement on se bat. Non, le rejet n’est jamais une chose positive.
La toxicophobie, c’est aussi la longue liste des arguments des fumeurs/euses de cannabis qui reposent sur la démarcation entre eux et elles (les « bon-ne-s drogué-e-s bien inséré-e-s qui ne font de mal à personne et consomment un produit pas dangereux et ne sont en fait même pas des drogué-e-s ») et les autres (les « toxicos qui se détruisent avec des trucs pas naturels » et doivent donc continuer à subir la répression), et sur le vieux mythe des « drogues douces » et des « drogues dures ». Les gens, si votre façon de militer repose sur le fait d’écraser plus opprimé-e-s que vous, alors c’est juste de la merde.
La toxicophobie, c’est donc aussi la toxicophobie intégrée par celles et ceux qui en sont victimes.