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Quand l’institution psychiatrique pervertit la psychanalyse (qui se laisse faire).

Aujourd’hui, on va parler du dévoiement de concepts issus de la clinique psychanalytique, au service de pratiques largement répandues (et de plus en plus normalisées et massives) dans les hôpitaux psychiatriques, et qui relèvent en réalité du dressage comportemental.

Ainsi, des pratiques qui sont foncièrement punitives, vécues comme telles par les patient-e-s mais dont, aussi, les soignant-e-s connaissent la dimension punitive, même s’iels s’en défendent régulièrement, pratiques qui consistent par exemple dans le fait de priver les personnes de leurs vêtements, de leurs affaires personnelles, de leur droit de sortir prendre l’air… qui font suite à un comportement jugé comme problématique (« fugue », automutilation, conduite agressive…), porteront le doux nom de « resserrement du cadre ». Personne n’est dupe, il ne s’agit pas de cadre mais d’autorité arbitraire, visant non à aider la personne à se sentir mieux psychiquement, mais bien à contrôler ses comportements. Du pur comportementalisme, donc, et dans sa dimension la plus coercitive. Néanmoins, on habille ces pratiques d’une justification clinique issue de la psychanalyse, afin de masquer leur caractère violent et normatif. Le fait que des psychanalystes laissent faire ce dévoiement de leurs concepts, et même y participent, me laissera toujours perplexe. Ce dévoiement porte pourtant en lui la mort de la psychanalyse, dans ce qu’elle a d’anti-normative, de non-jugeante, et d’attachée à la liberté des sujets.

Pourtant, lorsque la clinique psychanalytique est réellement conviée en psychiatrie (et non uniquement en apparence et en vocabulaire), l’attitude vis à vis des personnes souffrant de psychose est tout autre, et même opposée. La psychose se caractérisant par l’envahissement par l’Autre et sa toute-puissance, il s’agit alors, non de renforcer l’autorité et le pouvoir d’imposer ses lois des soignant-e-s, mais au contraire de les diminuer et les diluer au maximum.

Dans ce dévoiement des concepts psychanalytiques, les comportements des patient-e-s sont jugés en « bons comportements » et « mauvais comportements », ce qui est contraire à l’éthique même de la psychanalyse. Pour corriger les « mauvais comportements » (qui ne sont en réalité que des symptômes, donc porteurs de sens et ayant leur utilité. Symptômes de la maladie mais aussi symptômes de l’état de l’institution elle-même), on va pratiquer ce qu’on appelle la punition négative (priver la personne d’un droit, d’un bien), voire même la punition positive (via l’injection d’un puissant clamant, la contention – dont on a vu ailleurs qu’elle aussi portait un concept psychanalytique dévoyé pour la justifier : celui de contenance…).

On se retrouve alors avec une ambivalence, et même un paradoxe, entre les actes (punitifs, normatifs, autoritaires) et leur justification (ce serait du soin, ça apaiserait les patient-e-s, le fameux « c’est pour ton bien »). Les patient-e-s sont rarement dupes, même si on arrive parfois à les persuader que ce qu’iels ont légitimement vécu comme de la violence (être privé-e d’une part de son identité, de sa liberté, jusqu’à la privation ultime qu’est celle de tout mouvement) était en réalité du soin.
Chez les soignant-e-s, on constate massivement un phénomène d’ambivalence, qui ressort avec fracas sur les réseaux sociaux, où on a parfois tendance à s’exprimer spontanément, oubliant qu’on est lisible publiquement. Ainsi, on ne compte pas le nombre de soignant-e-s sur Twitter qui, lorsqu’iels s’adressent à des personnes psychiatrisées, ou à des familles, prennent soin d’utiliser ce vocabulaire clinique et axé sur le soin pour parler de leurs pratiques, mais dès qu’iels parlent entre elleux, la conscience qu’iels ont du caractère punitif de certaines de leur pratiques ressort. L’injection de Loxapac, la contention, l’isolement, la privation de vêtements… deviennent alors des marques d’autorité, de toute-puissance même parfois, des moyens de punir les patient-e-s dont on juge les symptômes pas assez discrets, le comportement pas assez soumis, ou tout simplement envers lesquels on a une forme d’antipathie (les patient-e-s « chiant-e-s »). Lorsqu’on les prend la main dans le sac de la promotion de la punition et de l’autorité, iels se défendent en invoquant l’humour (comme si l’humour ne révélait rien de concret), l’incompréhension (nous n’aurions pas compris leurs mots), leur statut de soignant-e-s (c’est dur, on a besoin de souffler et de se lâcher, et puis vous ne connaissez pas la réalité du terrain donc vous n’avez rien à dire), voire tout simplement… la négation (comme cellui qui parle de punir une patiente en la privant de vêtements, et lorsqu’un autre soignant souligne l’usage de ce vocabulaire de la punition, iel vient se défendre en affirmant que c’est la patiente, pas ellui, qui considère cela comme tel).

Ce clivage entre la réalité de l’autoritarisme, du dressage et de la coercition en institutions psychiatriques, et le discours qui se veut clinique, axé uniquement sur le soin, toujours bienveillant, crée les conditions idéales, non seulement au développement et à l’aggravation des symptômes et maladies psy chez les patient-e-s (y compris les passages à l’acte violents, qu’on utilise ensuite pour justifier ces pratiques coercitives), l’inadéquation entre le discours et les actes, voire entre le discours et le discours, la négation de l’éléphant dans la pièce, induisant une perversion institutionnelle constante, mais aussi au développement et à l’aggravation de tendance perverses ou sadiques chez certain-e-s soignant-e-s. Ce n’est pas pour rien que leur « humour pour décompresser de leurs dures journées » porte sur la violence envers les patient-e-s, violence institutionnelle (l’injection de Loxapac pour faire taire un-e patient-e revient souvent), ou violence non acceptée par l’institution (récemment un groupe d’infirmiers/ères en psy, sur Twitter, plaisantaient sur le fait de réveiller les patient-e-s avec des gifles, et sur le fait que leur statut de patient-e-s psy fait qu’iels peuvent difficilement se défendre et dénoncer).

Je ne pense d’ailleurs pas que la majorité de ces soignant-e-s sont foncièrement pervers (même si on le sait, tout métier donnant une forme de pouvoir sur autrui attirera plus que les autres les personnalités autoritaires, manipulatrices ou sadiques). Je suis même persuadée que la majorité ont un réel souci pour les patient-e-s, sont motivé-e-s par le désir de les aider, de procurer du soin. Mais la perversion du discours institutionnel déteint sur elleux.

Alors oui la psychiatrie va mal et souffre d’un manque criant de moyens, humains, matériels, et de formation. Mais l’accélération de la coercition en psychiatrie (le pourcentage d’hospitalisations contraintes ne cesse d’exploser), la culture de la punition et de l’autorité maquillée par des mots cliniques et psychanalytiques, le règne d’une certaine perversion (il faut lire à ce sujet le livre de Frédéric Mougeot, Le Travail de l’infirmier en psychiatrie, qui donne un éclairage sociologique frappant sur cette culture institutionnelle baignée de normes et de mépris, de marques constantes de la différence entre « eux », les malades, les déviant-e-s, et « nous », les soignant-e-s, garant-e-s de la norme sociale), tout cela n’est pas lié uniquement , ni même majoritairement, au manque de moyens, quand bien même c’est un argument presque systématiquement avancé par les soignant-e-s dès lors qu’on dénonce la maltraitance, qu’elle soit légitimée par l’institution ou non. Il existe de rares services qui font totalement autrement, avec pas plus (voire parfois moins) de moyens. Le temps passé à punir, contraindre, imposer des normes (comme celle de l’épilation pour les femmes, qui lorsqu’elle est absente expose à se voir diagnostiquer une incurie…), ce temps-là prend beaucoup de moyens, en terme de temps, de personnel, d’investissement psychique. Il pourrait positivement être redéployé dans le soin, le vrai, celui issu de la rencontre humaine, de l’écoute, du respect de la dignité et de sa restauration.

Note : cet article puise son inspiration d’un de mes fils Twitter que vous pouvez trouver ici : https://twitter.com/AraigneeSuze/status/1314043122566000640

Note bis : Si ce texte, contrairement aux autres articles de ce blog, n’est pas justifié (au sens typographique du terme), c’est parce que WordPress a changé son interface et qu’il y a des trucs qui, depuis, ne fonctionnent pas sur mon ordi… Ainsi il m’est tout simplement impossible de justifier le texte. Du coup c’est moche, mais bon, tant pis.

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